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le crime au père boniface

— Nom de nom, y a-t-il tout de même des gens qui sont canailles !

Puis il repassa le journal dans sa ceinture de papier et repartit, la tête pleine de la vision du crime. Il atteignit bientôt la demeure de M. Chapatis ; il ouvrit la barrière du petit jardin et s’approcha de la maison. C’était une construction basse, ne contenant qu’un rez-de-chaussée, coiffé d’un toit mansardé. Elle était éloignée de cinq cents mètres au moins de la maison la plus voisine.

Le facteur monta les deux marches du perron, posa la main sur la serrure, essaya d’ouvrir la porte, et constata qu’elle était fermée. Alors, il s’aperçut que les volets n’avaient point été ouverts, et que personne encore n’était sorti ce jour-là.

Une inquiétude l’envahit, car M. Chapatis, depuis son arrivée, s’était levé assez tôt. Boniface tira sa montre. Il n’était encore que sept heures dix minutes du matin, il se trouvait donc en avance de près d’une heure. N’importe, le percepteur aurait dû être debout.

Alors il fit le tour de la demeure en marchant avec précaution, comme s’il eût couru quelque danger. Il ne remarqua rien de suspect, que des pas d’homme dans une plate-bande de fraisiers.

Mais tout à coup, il demeura immobile, perclus d’angoisse, en passant devant une fenêtre. On gémissait dans la maison.

Il s’approcha, et enjambant une bordure de thym, colla son oreille contre l’auvent pour mieux écouter ; assurément on gémissait. Il entendait fort bien de longs soupirs douloureux, une sorte de râle, un bruit