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Page:Maupassant - Boule de suif, 1902.djvu/180

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rose

d’autres voitures enguirlandées, pleines de femmes disparues sous un flot de violettes. Car c’est la fête des fleurs à Cannes.

On arrive au boulevard de la Foncière, où la bataille a lieu. Tout le long de l’immense avenue, une double file d’équipages enguirlandés va et revient comme un ruban sans fin. De l’un à l’autre on se jette des fleurs. Elles passent dans l’air comme des balles, vont frapper les frais visages, voltigent et retombent dans la poussière où une armée de gamins les ramasse.

Une foule compacte, rangée sur les trottoirs, et maintenue par les gendarmes à cheval qui passent brutalement et repoussent les curieux à pied comme pour ne point permettre aux vilains de se mêler aux riches, regarde, bruyante et tranquille.

Dans les voitures, on s’appelle, on se reconnaît, on se mitraille avec des roses. Un char plein de jolies femmes, vêtues de rouge comme des diables, attire et séduit les yeux. Un monsieur, qui ressemble aux portraits d’Henri IV, lance avec une ardeur joyeuse un énorme bouquet retenu par un élastique. Sous la menace du choc, les femmes se cachent les yeux et les hommes baissent la tête, mais le projectile gracieux, rapide et docile, décrit une courbe et revient à son maître qui le jette aussitôt vers une figure nouvelle.

Les deux jeunes femmes vident à pleines mains leur arsenal et reçoivent une grêle de bouquets ; puis, après une heure de bataille, un peu lasses enfin, elles ordonnent au cocher de suivre la route du golfe Juan, qui longe la mer.

Le soleil disparaît derrière l’Esterel, dessinant en noir, sur un couchant de feu, la silhouette dentelée