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Page:Maupassant - Boule de suif, 1902.djvu/54

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boule de suif

enveloppé par une robe de chambre flamboyante, dérobée sans doute dans la demeure abandonnée de quelque bourgeois de mauvais goût. Il ne se leva pas, ne les salua pas, ne les regarda pas. Il présentait un magnifique échantillon de la goujaterie naturelle au militaire victorieux.

Au bout de quelques instants il dit enfin :

― « Qu’est-ce que fous foulez ? »

Le comte prit la parole : ― « Nous désirons partir, monsieur.

― Non.

― Oserai-je vous demander la cause de ce refus ?

― Parce que che ne feux pas.

― Je vous ferai respectueusement observer, monsieur, que votre général en chef nous a délivré une permission de départ pour gagner Dieppe ; et je ne pense pas que nous ayons rien fait pour mériter vos rigueurs.

― Che ne feux pas… foilà tout… Fous poufez tescentre. »

S’étant inclinés tous les trois, ils se retirèrent.

L’après-midi fut lamentable. On ne comprenait rien à ce caprice d’Allemand ; et les idées les plus singulières troublaient les têtes. Tout le monde se tenait dans la cuisine et l’on discutait sans fin, imaginant des choses invraisemblables. On voulait peut-être les garder comme otages ― mais dans quel but ? ― ou les emmener prisonniers ? ou, plutôt, leur demander une rançon considérable ? À cette pensée, une panique les affola. Les plus riches étaient les plus épouvantés, se voyant déjà contraints, pour racheter leur vie, de verser des sacs pleins d’or entre les mains de ce soldat