Page:Maupassant - Boule de suif.djvu/118

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pos, étalant sa bonne humeur orageuse avec une assurance de commis-voyageur. Il considérait que la vie était faite uniquement pour bambocher et plaisanter, et sitôt qu’il fallait mettre un frein à sa joie braillarde, il tombait dans une sorte de somnolence hébétée, étant même incapable de tristesse. Ses besoins d’argent le harcelant, il avait coutume de répéter une phrase devenue célèbre dans son entourage :

— Pour dix mille francs de rente, je me ferais bourreau.

Or, il allait chaque année passer quinze jours à Trouville. Il appelait ça « faire sa saison ».

Il s’installait chez des cousins qui lui prêtaient une chambre, et, du jour de son arrivée au jour du départ, il se promenait sur les planches qui longent la grande plage de sable.

Il allait d’un pas assuré, les mains dans ses poches ou derrière le dos, toujours vêtu d’amples habits, de gilets clairs et de cravates voyantes, le chapeau sur l’oreille et un cigare d’un sou au coin de la bouche.

Il allait, frôlant les femmes élégantes, toisant les hommes en gaillard prêt à se flanquer une tripotée, et cherchant… cherchant… car il cherchait.

Il cherchait une femme, comptant sur sa figure, sur son physique. Il s’était dit :

— Que diable, dans le tas de celles qui viennent là, je finirai bien par trouver mon affaire. Et il cherchait avec un flair de chien de chasse, un flair de Normand, sûr qu’il la reconnaîtrait, rien qu’en l’apercevant, celle qui le ferait riche.