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Page:Maupassant - Boule de suif.djvu/134

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sa belle-sœur, par politesse et par galanterie, il chercha quelque chose de circonstance, de grave, de comme il faut, qu’il jugeait en harmonie avec le sérieux du dîner.

Anna prit un air content et se renversa sur sa chaise pour écouter. Tous les visages devinrent attentifs et vaguement souriants.

Le chanteur annonça « Le pain maudit », et arrondissant le bras droit, ce qui fit remonter son habit dans son cou, il commença :


Il est un pain béni qu’à la terre économe
Il nous faut arracher d’un bras victorieux.
C’est le pain du travail, celui que l’honnête homme,
Le soir, à ses enfants, apporte tout joyeux.
Mais il en est un autre, à mine tentatrice,
Pain maudit que l’Enfer pour nous damner sema (bis)
Enfants, n’y touchez pas, car c’est le pain du vice !
Chers enfants, gardez-vous de toucher ce pain-là ! (bis.)


Toute la table applaudit avec frénésie. Le père Touchard déclara : « Ça, c’est tapé. » La cuisinière invitée tourna dans sa main un croûton qu’elle regardait avec attendrissement. M. Sauvetanin murmura : « Très bien ! » Et la tante Lamondois s’essuyait déjà les yeux avec sa serviette.

Le marié annonça : « Deuxième couplet » et le lança avec une énergie croissante :


Respect au malheureux qui, tout brisé par l’âge,
Nous implore en passant sur le bord du chemin,
Mais flétrissons celui qui, désertant l’ouvrage,
Alerte et bien portant, ose tendre la main.
Mendier sans besoin, c’est voler la vieillesse.
C’est voler l’ouvrier que le travail courba (bis)