Page:Maupassant - Boule de suif.djvu/141

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faudrait être dégourdi et qu’Adélaïde l’est pas un brin.

La femme alors articula : « J’pourrions voir tout d’même. » Puis, se tournant vers sa fille, une gaillarde à l’air niais, aux cheveux jaunes, aux grosses joues rouges comme la peau des pommes, elle cria : « T’entends, grande bête. T’iras chez maît’ Omont t’proposer comme servante, et tu f’ras tout c’qu’il te commandera. »

La fille se mit à rire sottement sans répondre. Puis tous trois commencèrent à manger.

Au bout de dix minutes, le père reprit : « Écoute un mot, la fille, et tâche d’n’ point te mettre en défaut sur ce que j’vas te dire… »

Et il lui traça en termes lents et minutieux toute une règle de conduite, prévoyant les moindres détails, la préparant à cette conquête d’un vieux veuf mal avec sa famille.

La mère avait cessé de manger pour écouter et elle demeurait, la fourchette à la main, les yeux sur son homme et sur sa fille tour à tour, suivant cette instruction avec une attention concentrée et muette.

Adélaïde restait inerte, le regard errant et vague, docile et stupide.

Dès que le repas fut terminé la mère lui fit mettre son bonnet, et elles partirent toutes deux pour aller trouver M. Césaire Omont. Il habitait une sorte de petit pavillon de briques adossé aux bâtiments d’exploitation qu’occupaient ses fermiers. Car il s’était retiré du faire-valoir, pour vivre de ses rentes.

Il avait environ cinquante-cinq ans ; il était gros, jovial et bourru comme un homme riche. Il riait et criait