Page:Maupassant - Boule de suif.djvu/172

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« Sacristi, si je les avais, les deux millions cinq cent mille ! »

Ma chambre était lugubre, une chambre de garçon rouennais faite par une bonne chargée aussi de la cuisine. Vous la voyez d’ici, cette chambre ! un grand lit sans rideaux, une armoire, une commode, une toilette, pas de feu. Des habits sur les chaises, des papiers par terre. Je me mis à chantonner, sur un air de café-concert, car je fréquente quelquefois ces endroits-là :


Deux millions,
Deux millions
Sont bons
Avec cinq cent mille
Et femme gentille.


Au fait, je n’avais pas encore pensée à la femme et j’y songeai tout à coup en me glissant dans mon lit. J’y songeai même si bien que je fus longtemps à m’endormir.

Le lendemain, en ouvrant les yeux, avant le jour, je me rappelai que je devais me trouver à huit heures à Darnétal pour une affaire importante. Il fallait me lever à six heures — et il gelait. — Cristi de cristi, les deux millions cinq cent mille !

Je revins à mon étude vers dix heures. Il y avait là dedans une odeur de poêle rougi, de vieux papiers, l’odeur des papiers de procédure avancés — rien ne pue comme ça — et une odeur de clercs — bottes, redingotes, cheveux et peau, peau d’hiver peu lavée, le tout chauffée à dix-huit degrés.

Je déjeunai, comme tous les jours, d’une côtelette