Page:Maupassant - Boule de suif.djvu/178

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Elle avait, en effet apporté tous ses titres. Je ne pouvais douter, je les tenais, je les palpais, je les lisais. Cela me mit une telle joie au cœur que je fus pris aussitôt d’un violent désir de l’embrasser. Je m’entends, d’un désir chaste, d’un désir d’homme content. Et je l’embrassai, ma foi. Une fois, deux fois, dix fois… si bien que… le champagne aidant… je succombai… ou plutôt… non… elle succomba.

Ah ! monsieur, j’en fis une tête, après cela… et elle donc ! Elle pleurait comme une fontaine, en me suppliant de ne pas la trahir, de ne pas la perdre. Je promis tout ce qu’elle voulut, et je m’en allai dans un état d’esprit épouvantable.

Que faire ? J’avais abusé de ma cliente. Cela n’eût été rien si j’avais eu un client pour elle, mais je n’en avais pas. C’était moi, le client, le client naïf, le client trompé, trompé par lui-même. Quelle situation ! Je pouvais la lâcher, c’est vrai. Mais la dot, la belle dot, palpable, sûre ! Et puis avais-je le droit de la lâcher, la pauvre fille, après l’avoir ainsi surprise ? Mais que d’inquiétudes plus tard !

Combien peu de sécurité avec une femme qui succombait ainsi !

Je passai une nuit terrible d’indécision, torturé de remords, ravagé de craintes, balloté par tous les scrupules. Mais, au matin, ma raison s’éclaircit. Je m’habillai avec recherche et je me présentai, comme onze heures sonnaient, à l’hôtel qu’elle habitait.

En me voyant, elle rougit jusqu’aux yeux.

Je lui dis :