Page:Maupassant - Boule de suif.djvu/55

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Loiseau résuma la situation.

— C’est malheureux de ne pas avoir de piano parce qu’on pourrait pincer un quadrille.

Cornudet n’avait pas dit un mot, pas fait un geste ; il paraissait même plongé dans des pensées très graves, et tirait parfois, d’un geste furieux, sa grande barbe qu’il semblait vouloir allonger encore. Enfin, vers minuit, comme on allait se séparer, Loiseau, qui titubait, lui tapa soudain sur le ventre et lui dit en bredouillant : « Vous n’êtes pas farce, vous, ce soir ; vous ne dites rien, citoyen ? » Mais Cornudet releva brusquement la tête, et, parcourant la société d’un regard luisant et terrible : « Je vous dis à tous que vous venez de faire une infamie ! » Il se leva, gagna la porte, répéta encore une fois : « Une infamie ! » et disparut.

Cela jeta un froid d’abord. Loiseau, interloqué, restait bête ; mais il reprit son aplomb, puis, tout à coup, se tordit en répétant : « Ils sont trop verts, mon vieux, ils sont trop verts. » Comme on ne comprenait pas, il raconta les « mystères du corridor ». Alors il y eut une reprise de gaieté formidable. Ces dames s’amusaient comme des folles. Le comte et M. Carré-Lamadon pleuraient à force de rire. Ils ne pouvaient croire.

— Comment ! vous êtes sûr ? Il voulait…

— Je vous dis que je l’ai vu.

— Et, elle a refusé…

— Parce que le Prussien était dans la chambre à côté.

— Pas possible ?

— Je vous le jure.