Page:Maupassant - Boule de suif.djvu/77

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« — Vous n’avez pas trop froid, miss ?

« — Oh ! si. J’avé froid beaucoup.

« Je voulus lui donner mon manteau, elle le refusa ; mais je l’avais ôté ; je l’en couvris malgré elle. Dans la courte lutte, je rencontrai sa main, qui me fit passer un frisson charmant par tout le corps.

« Depuis quelques minutes, l’air devenait plus vif, le clapotis de l’eau plus fort contre les flancs du navire. Je me dressai ; un grand souffle me passa sur le visage. Le vent s’élevait !

« L’Anglais s’en aperçut en même temps que moi, et il dit simplement :

« — C’était mauvaise pour nous, cette…

« Assurément c’était mauvais, c’était la mort certaine si des lames, même de faibles lames, venaient attaquer et secouer l’épave, tellement brisée et disjointe que la première vague un peu rude l’emporterait en bouillie.

« Alors notre angoisse s’accrut de seconde en seconde avec les rafales de plus en plus fortes. Maintenant, la mer brisait un peu, et je voyais dans les ténèbres des lignes blanches paraître et disparaître, des lignes d’écume, tandis que chaque flot heurtait la carcasse du Marie-Joseph, l’agitait d’un court frémissement qui nous montait jusqu’au cœur.

« L’Anglaise tremblait ; je la sentais frissonner contre moi, et j’avais une envie folle de la saisir dans mes bras.

« Là-bas, devant nous, à gauche, à droite, derrière nous, des phares brillaient sur les côtes, des phares blancs, jaunes, rouges, tournants, pareils à des yeux énormes, à des yeux de géant qui nous regardaient, nous guettaient,