Page:Maupassant - Boule de suif.djvu/98

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çonnais rien. Il me commanda deux meubles. Il avait pris, je le sus plus tard, des renseignements auprès du curé, sous le sceau du secret, bien entendu.

Il revint souvent ; il me faisait travailler et payait bien. Parfois même il causait un peu de choses et d’autres. Je me sentais de l’affection pour lui.

Au commencement de cette année il amena sa femme, ma mère. Quand elle entra, elle tremblait si fort que je la crus atteinte d’une maladie nerveuse. Puis elle demanda un siège et un verre d’eau. Elle ne dit rien ; elle regarda mes meubles d’un air fou, et elle ne répondait que oui et non, à tort et à travers, à toutes les questions qu’il lui posait ! Quand elle fut partie, je la crus un peu toquée.

Elle revint le mois suivant. Elle était calme, maîtresse d’elle. Ils restèrent, ce jour-là, assez longtemps à bavarder, et ils me firent une grosse commande. Je la revis encore trois fois, sans rien deviner ; mais un jour voilà qu’elle se mit à me parler de ma vie, de mon enfance, de mes parents. Je répondis : « Mes parents, madame, étaient des misérables qui m’ont abandonné. » Alors elle porta la main sur son cœur, et tomba sans connaissance. Je pensai tout de suite : « C’est ma mère ! » mais je me gardai bien de laisser rien voir. Je voulais la regarder venir.

Par exemple, je pris de mon côté mes renseignements. J’appris qu’ils n’étaient mariés que du mois de juillet précédent, ma mère n’étant devenue veuve que depuis trois ans. On avait bien chuchoté qu’ils s’étaient aimés du vivant du premier mari, mais on n’en avait aucune preuve. C’était moi la preuve, la preuve qu’on avait cachée d’abord, espéré détruire ensuite.