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une veuve

il me disait : « Allons rêver, cousine… » Et nous partions ensemble dans le parc. Il s’arrêtait brusquement devant les clairières où flottait cette vapeur blanche, cette ouate dont la lune garnit les éclaircies des bois ; et il me disait, en me serrant la main : « Regarde ça, regarde ça. Mais tu ne me comprends pas, je le sens. Si tu me comprenais, nous serions heureux. Il faut aimer pour savoir. » Je riais et je l’embrassais, ce gamin, qui m’adorait à en mourir.

« Souvent aussi, après le dîner, il allait s’asseoir sur les genoux de ma mère. « Allons, tante, lui disait-il, raconte-nous des histoires d’amour. » Et ma mère, par plaisanterie, lui disait toutes les légendes de sa famille, toutes les aventures passionnées de ses pères ; car on en citait des mille et des mille, de vraies et de fausses. C’est leur réputation qui les a tous perdus, ces hommes ; ils se montaient la tête et se faisaient gloire ensuite de ne point laisser mentir la renommée de leur maison.

« Il s’exaltait, le petit, à ces récits tendres ou terribles, et parfois il tapait des mains en répétant : « Moi aussi, moi aussi, je sais aimer mieux qu’eux tous ! »