Page:Maupassant - Contes de la bécasse, OC, Conard, 1908.djvu/126

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comme si l’amour n’eût dû frapper que des êtres fins et distingués, seuls dignes de l’intérêt des gens comme il faut.


Le médecin reprit :

— J’ai été appelé, il y a trois mois, auprès de cette vieille femme, à son lit de mort. Elle était arrivée la veille, dans la voiture qui lui servait de maison, traînée par la rosse que vous avez vue, et accompagnée de ses deux grands chiens noirs, ses amis et ses gardiens. Le curé était déjà là. Elle nous fit ses exécuteurs testamentaires, et, pour nous dévoiler le sens de ses volontés dernières, elle nous raconta toute sa vie. Je ne sais rien de plus singulier et de plus poignant.

Son père était rempailleur et sa mère rempailleuse. Elle n’a jamais eu de logis planté en terre.

Toute petite, elle errait, haillonneuse, vermineuse, sordide. On s’arrêtait à l’entrée des villages, le long des fossés ; on dételait la voiture ; le cheval broutait ; le chien dormait, le museau sur ses pattes ; et la petite se roulait dans l’herbe pendant que le père et la mère rafistolaient, à l’ombre des ormes du chemin, tous les vieux sièges de la commune. On ne