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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/209

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fort comme la mort

était une des meilleures et des plus douces petites gourmandises de sa vie de femme élégante.

Ce jour-là, cependant, c’était avec une certaine angoisse qu’elle allait passer, sans voile et nu-tête, devant tous ces miroirs sincères. Sa première visite chez la modiste la rassura. Les trois chapeaux qu’elle choisit lui allaient à ravir, elle n’en pouvait douter, et quand la marchande lui eut dit avec conviction : « Oh ! Madame la Comtesse, les blondes ne devraient jamais quitter le deuil », elle s’en alla toute contente et entra, pleine de confiance, chez les autres fournisseurs.

Puis elle trouva chez elle un billet de la duchesse venue pour la voir et annonçant qu’elle reviendrait dans la soirée ; puis elle écrivit des lettres ; puis elle rêvassa quelque temps, surprise que ce simple changement de lieu eût reculé dans un passé qui semblait déjà lointain le grand malheur qui l’avait déchirée. Elle ne pouvait même se convaincre que son retour de Roncières datât seulement de la veille, tant l’état de son âme était modifié depuis sa rentrée à Paris comme si ce petit déplacement eût cicatrisé ses plaies.

Bertin, arrivé à l’heure du dîner, s’écria en l’apercevant :

— Vous êtes éblouissante, ce soir !

Et ce cri répandit en elle une onde tiède de bonheur.

Comme on quittait la table, le comte, qui avait une passion pour le billard, offrit à Bertin de faire une partie ensemble, et les deux femmes les accompagnèrent dans la salle de billard où le café fut servi.

Les hommes jouaient encore quand la duchesse fut annoncée, et tous rentrèrent au salon. Mme de Corbelle