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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/21

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fort comme la mort

un peu forte, mais fraîche avec cet éclat qui donne à la chair de quarante ans une saveur de maturité, elle avait l’air d’une de ces roses qui s’épanouissent indéfiniment jusqu’à ce que, trop fleuries, elles tombent en une heure.

Elle gardait sous ses cheveux blonds la grâce alerte et jeune de ces Parisiennes qui ne vieillissent pas, qui portent en elles une force surprenante de vie, une provision inépuisable de résistance, et qui, pendant vingt ans, restent pareilles, indestructibles et triomphantes, soigneuses avant tout de leur corps et économes de leur santé.

Elle leva son voile et murmura :

— Eh bien, on ne m’embrasse pas ?

— J’ai fumé, dit-il.

Elle fit : — Pouah ! — Puis tendant ses lèvres : — Tant pis.

Et leurs bouches se rencontrèrent.

Il enleva son ombrelle et la dévêtit de sa jaquette printanière, avec des mouvements prompts et sûrs, habitués à cette manœuvre familière. Comme elle s’asseyait ensuite sur le divan, il demanda avec intérêt :

— Votre mari va bien ?

― Très bien, il doit même parler à la Chambre en ce moment.

― Ah ! Sur quoi donc ?

— Sans doute sur les betteraves ou les huiles de colza, comme toujours.

Son mari, le comte de Guilleroy, député de l’Eure, s’était fait une spécialité de toutes les questions agricoles.

Mais ayant aperçu dans un coin une esquisse qu’elle