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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/237

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fort comme la mort

comme d’une chose habituelle et bonne dont il venait d’être privé, la buvant sainement comme on boit de l’eau, quand on a soif.

— Eh bien ! dit la comtesse, est-ce beau ?

Il s’écria réveillé :

— Admirable, superbe, de qui ?

— Vous ne le savez pas ?

— Non.

— Comment, vous ne le savez pas, vous ?

— Mais non.

— De Schubert.

Il dit avec un air de conviction profonde :

— Cela ne m’étonne point. C’est superbe ! vous seriez exquise en recommençant.

Elle recommença, et lui, tournant la tête, se remit à contempler Annette, mais en écoutant aussi la musique, afin de goûter en même temps deux plaisirs.

Puis, quand Mme de Guilleroy fut revenue prendre sa place, il obéit simplement à la naturelle duplicité de l’homme et ne laissa plus se fixer ses yeux sur le blond profil de la jeune fille qui tricotait en face de sa mère, de l’autre côté de la lampe.

Mais s’il ne la voyait pas, il goûtait la douceur de sa présence, comme on sent le voisinage d’un foyer chaud ; et l’envie de glisser sur elle des regards rapides, aussitôt ramenés sur la comtesse, le harcelait, une envie de collégien qui se hisse à la fenêtre de la rue dès que le maître tourne le dos.

Il s’en alla tôt, car il avait la parole aussi paralysée que l’esprit, et son silence persistant pouvait être interprété.

Dès qu’il fut dans la rue, un besoin d’errer le prit, car toute musique entendue continuait en lui long-