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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/301

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fort comme la mort

tiste ne l’avait fait ainsi saigner. Il demeurait haletant et relisait l’article, pour le comprendre en ses moindres nuances. Ils étaient jetés au panier, quelques confrères et lui, avec une outrageante désinvolture ; et il se leva en murmurant ces mots, qui lui restaient sur les lèvres : « l’Art démodé d’Olivier Bertin. »

Jamais pareille tristesse, pareil découragement, pareille sensation de la fin de tout, de la fin de son être physique et de son être pensant, ne l’avaient jeté dans une détresse d’âme aussi désespérée. Il resta jusqu’à deux heures dans un fauteuil, devant la cheminée, les jambes allongées vers le feu, n’ayant plus la force de remuer, de faire quoi que ce soit. Puis le besoin d’être consolé se leva en lui, le besoin de serrer des mains dévouées, de voir des yeux fidèles, d’être plaint, secouru, caressé par des paroles amies. Il alla donc, comme toujours, chez la comtesse.

Quand il entra, Annette était seule au salon, debout, le dos tourné, écrivant vivement l’adresse d’une lettre. Sur la table, à côté d’elle, était déployé le Figaro. Bertin vit le journal en même temps que la jeune fille et demeura éperdu, n’osant plus avancer ! Oh ! si elle l’avait lu ! Elle se retourna et préoccupée, pressée, l’esprit hanté par des soucis de femme, elle lui dit :

— Ah ! bonjour, monsieur le peintre. Vous m’excuserez si je vous quitte. J’ai la couturière en haut qui me réclame. Vous comprenez, la couturière, au moment d’un mariage, c’est important. Je vais vous prêter maman qui discute et raisonne avec mon artiste. Si j’ai besoin d’elle, je vous la ferai demander pendant quelques minutes.

Et elle se sauva en courant un peu, pour bien montrer sa hâte.