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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/62

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fort comme la mort

mains, avant de sauter à l’eau du haut d’un pont, lorsqu’on sait nager, et qu’on veut mourir.

Mais à partir du moment où la comtesse se fut donnée ainsi, elle se sentit assaillie de craintes sur la constance d’Olivier Bertin. Rien ne le tenait que sa volonté d’homme, son caprice, son goût passager pour une femme rencontrée un jour comme il en avait déjà rencontré tant d’autres ! Elle le sentait si libre et si facile à tenter, lui qui vivait sans devoirs, sans habitudes et sans scrupules, comme tous les hommes ! Il était beau garçon, célèbre, recherché, ayant à la portée de ses désirs vite éveillés toutes les femmes du monde dont la pudeur est si fragile, et toutes les femmes d’alcôve et de théâtre prodigues de leurs faveurs avec des gens comme lui. Une d’elles, un soir, après souper, pouvait le suivre et lui plaire, le prendre et le garder.

Elle vécut donc dans la terreur de le perdre, épiant ses allures, ses attitudes, bouleversée par un mot, pleine d’angoisse dès qu’il admirait une autre femme, vantait le charme d’un visage, ou la grâce d’une tournure. Tout ce qu’elle ignorait de sa vie, la faisait trembler, et tout ce qu’elle en savait l’épouvantait. À chacune de leurs rencontres, elle devenait ingénieuse à l’interroger, sans qu’il s’en aperçût, pour lui faire dire ses opinions sur les gens qu’il avait vus, sur les maisons où il avait dîné, sur les impressions les plus légères de son esprit. Dès qu’elle croyait deviner l’influence possible de quelqu’un, elle la combattait avec une prodigieuse astuce, avec d’innombrables ressources.

Oh ! souvent elle pressentit ces courtes intrigues, sans racines profondes, qui durent huit ou quinze jours,