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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/71

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fort comme la mort

Les Corbelle étaient parents du comte de Guilleroy.

― Eh bien, dit la duchesse étonnée, et votre femme ?

― Un instant, un petit instant, demanda le comte. Il y a une surprise, elle va venir.

Quand Mme de Guilleroy, mariée depuis un mois, avait fait son entrée dans le monde, elle fut présentée à la duchesse de Mortemain, qui tout de suite l’aima, l’adopta, la patronna.

Depuis vingt ans, cette amitié ne s’était point démentie, et quand la duchesse disait « ma petite », on entendait encore en sa voix l’émotion de cette toquade subite et persistante. C’est chez elle qu’avait eu lieu la rencontre du peintre et de la comtesse.

Musadieu s’était approché, il demanda :

— La duchesse a-t-elle été voir l’exposition des Intempérants ?

— Non, qu’est-ce que c’est ?

— Un groupe d’artistes nouveaux, des impressionnistes à l’état d’ivresse. Il y en a deux très forts.

La grande dame murmura avec dédain :

— Je n’aime pas les plaisanteries de ces messieurs.

Autoritaire, brusque, n’admettant guère d’autre opinion que la sienne, fondant la sienne uniquement sur la conscience de sa situation sociale, considérant, sans bien s’en rendre compte, les artistes et les savants comme des mercenaires intelligents chargés par Dieu d’amuser les gens du monde ou de leur rendre des services, elle ne donnait d’autre base à ses jugements que le degré d’étonnement et de plaisir irraisonné que lui procurait la vue d’une chose, la lecture d’un livre ou le récit d’une découverte.

Grande, forte, lourde, rouge, parlant haut, elle pas-