comparable à celle-là, car toutes les autres sont de rencontre, et celle-là est de naissance ; toutes les autres nous sont apportées plus tard par les hasards de l’existence, et celle-là vit depuis notre premier jour dans notre sang même. Et puis, et puis, ce n’est pas seulement une mère qu’on a perdue, c’est toute notre enfance elle-même qui disparaît à moitié, car notre petite vie de fillette était à elle autant qu’à nous. Seule elle la connaissait comme nous, elle savait un tas de choses lointaines insignifiantes et chères qui sont, qui étaient les douces premières émotions de notre cœur. À elle seule je pouvais dire encore : « Te rappelles-tu, mère, le jour où… ? Te rappelles-tu, mère, la poupée de porcelaine que grand’maman m’avait donnée ? Nous marmottions toutes les deux un long et doux chapelet de menus et mièvres souvenirs que personne sur la terre ne sait plus, que moi. C’est donc une partie de moi qui est morte, la plus vieille, la meilleure. J’ai perdu le pauvre cœur où la petite fille que j’étais vivait encore tout entière. Maintenant personne ne la connaît plus, personne ne se rappelle la petite Anne, ses jupes courtes, ses rires et ses mines.
« Et un jour viendra, qui n’est peut-être pas bien loin, où je m’en irai à mon tour, laissant seule dans ce monde ma chère Annette, comme maman m’y laisse aujourd’hui. Que tout cela est triste,