Page:Maupassant - Fort comme la mort.djvu/165

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sommeillant et transpirant à la façon d’un ouvrier endormi sur un banc sous le soleil. Oui, elle sue, la gueuse, et elle pue affreusement par ses bouches d’égout, les soupiraux des caves et des cuisines, les ruisseaux où coule la crasse de ses rues. Alors, je pense à ces matinées d’été, dans votre verger plein de petites fleurs champêtres qui donnent à l’air un goût de miel. Puis, j’entre, écœuré déjà, au restaurant où mangent, avec des airs accablés, des hommes chauves et ventrus, au gilet entr’ouvert, et dont le front moite reluit. Toutes ces nourritures ont chaud, le melon qui fond sous la glace, le pain mou, le filet flasque, le légume recuit, le fromage purulent, les fruits mûris à la devanture. Et je sors avec la nausée, et je retourne chez moi pour essayer de dormir un peu, jusqu’à l’heure du dîner que je prends au Cercle.

« J’y retrouve toujours Adelmans, Maldant, Rocdiane, Landa et bien d’autres, qui m’ennuient et me fatiguent autant que des orgues de Barbarie. Chacun a son air, ou ses airs, que j’entends depuis quinze ans, et ils les jouent tous ensemble, chaque soir, dans ce cercle, qui est, paraît-il, un endroit où l’on va se distraire. On devrait bien me changer ma génération dont j’ai les yeux, les oreilles et l’esprit rassasiés. Ceux-là font toujours des conquêtes ; ils s’en vantent et s’entre-félicitent.

« Après avoir bâillé autant de fois qu’il y a de