Page:Maupassant - Fort comme la mort.djvu/180

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gueil factice de rester belle si longtemps ; et, lorsqu’Annette apparut à côté d’elle avec la fraîcheur de ses dix-huit années, au lieu de souffrir de ce voisinage, elle fut fière, au contraire, de pouvoir être préférée, dans la grâce savante de sa maturité, à cette fillette épanouie dans l’éclat radieux de la première jeunesse.

Elle se croyait même au début d’une période heureuse et tranquille quand la mort de sa mère vint la frapper en plein cœur. Ce fut, pendant les premiers jours, un de ces désespoirs profonds qui ne laissent place à nulle autre pensée. Elle restait du matin au soir abîmée dans la désolation, cherchant à se rappeler mille choses de la morte, des paroles familières, sa figure d’autrefois, des robes qu’elle avait portées jadis, comme si elle eût amassé au fond de sa mémoire des reliques, et recueilli dans le passé disparu tous les intimes et menus souvenirs dont elle alimenterait ses cruelles rêveries. Puis quand elle fut arrivée ainsi à un tel paroxysme de désespoir, qu’elle avait à tout instant des crises de nerfs et des syncopes, toute cette peine accumulée jaillit en larmes, et, jour et nuit, coula de ses yeux.

Or, un matin, comme sa femme de chambre entrait et venait d’ouvrir les volets et les rideaux en demandant : « Comment va Madame aujourd’hui ? » elle répondit, se sentant épuisée et courbaturée à