Page:Maupassant - Fort comme la mort.djvu/182

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glace du front, si bien que son haleine, répandant une buée sur le verre, obscurcit, effaça presque l’image blême qu’elle contemplait. Elle dut alors prendre un mouchoir pour essuyer la brume de son souffle, et frissonnante d’une émotion bizarre, elle fit un long et patient examen des altérations de son visage. D’un doigt léger elle tendit la peau des joues, lissa celle du front, releva les cheveux, retourna les paupières pour regarder le blanc de l’œil. Puis elle ouvrit la bouche, inspecta ses dents un peu ternies où des points d’or brillaient, s’inquiéta des gencives livides et de la teinte jaune de la chair au-dessus des joues et sur les tempes.

Elle mettait à cette revue de la beauté défaillante tant d’attention qu’elle n’entendit pas ouvrir la porte, et qu’elle tressaillit jusqu’au cœur quand sa femme de chambre, debout derrière elle, lui dit :

— Madame a oublié de prendre son thé.

La comtesse se retourna, confuse, surprise, honteuse, et la domestique, devinant sa pensée, reprit :

— Madame a trop pleuré, il n’y a rien de pire que les larmes pour vider la peau. C’est le sang qui tourne en eau.

Comme la comtesse ajoutait tristement :

— Il y a aussi l’âge.

La bonne se récria :

— Oh ! oh ! Madame n’en est pas là ! En quelques jours de repos il n’y paraîtra plus. Mais il