Page:Maupassant - Fort comme la mort.djvu/298

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diablement la besogne horrible du temps qui court. Elle écoutait dans le silence de la nuit le balancier de sa pendule qui semblait murmurer de son tic-tac, monotone et régulier — « ça va, ça va, ça va », et son cœur se crispait dans une telle souffrance que, son drap sur sa bouche, elle gémissait de désespoir.

Autrefois, comme tout le monde, elle avait eu la notion des années qui passent et des changements qu’elles apportent. Comme tout le monde, elle avait dit, elle s’était dit, chaque hiver, chaque printemps ou chaque été : « J’ai beaucoup changé depuis l’an dernier. » Mais toujours belle, d’une beauté un peu différente, elle ne s’en inquiétait pas. Aujourd’hui, tout à coup, au lieu de constater encore paisiblement la marche lente des saisons, elle venait de découvrir et de comprendre la fuite formidable des instants. Elle avait eu la révélation subite de ce glissement de l’heure, de cette course imperceptible, affolante quand on y songe, de ce défilé infini des petites secondes pressées qui grignotent le corps et la vie des hommes.

Après ces nuits misérables, elle trouvait de longues somnolences plus tranquilles, dans la tiédeur des draps, lorsque sa femme de chambre avait ouvert ses rideaux et fait flamber le feu matinal. Elle demeurait lasse, assoupie, ni éveillée ni endormie, dans un engourdissement de pensée qui