Page:Maupassant - Fort comme la mort.djvu/321

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avaient été si nombreux, qu’ils lui faisaient oublier les coups d’épingle. Aujourd’hui, devant la poussée incessante des nouveaux artistes et des nouveaux admirateurs, les félicitations devenaient plus rares et le dénigrement plus accusé. Il se sentait enrégimenté dans le bataillon des vieux peintres de talent que les jeunes ne traitent point en maîtres ; et, comme il était aussi intelligent que perspicace, il souffrait à présent des moindres insinuations autant que des attaques directes.

Jamais pourtant aucune blessure à son orgueil d’artiste ne l’avait fait ainsi saigner. Il demeurait haletant et relisait l’article, pour le comprendre en ces moindres nuances. Ils étaient jetés au panier, quelques confrères et lui, avec une outrageante désinvolture ; et il se leva en murmurant ces mots, qui lui restaient sur les lèvres : « l’Art démodé d’Olivier Bertin. »

Jamais pareille tristesse, pareil découragement, pareille sensation de la fin de tout, de la fin de son être physique et son être pensant, ne l’avaient jeté dans une détresse d’âme aussi désespérée. Il resta jusqu’à deux heures dans un fauteuil, devant la cheminée, les jambes allongées vers le feu, n’ayant plus la force de remuer, de faire quoi que ce soit. Puis le besoin d’être consolé se leva en lui, le besoin de serrer des mains dévouées, de voir des yeux fidèles, d’être plaint, secouru, caressé par des