Page:Maupassant - Fort comme la mort.djvu/43

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effacer cela ! J’ai fermé les yeux. J’ai consenti pendant quelques secondes, pendant quelques secondes seulement, au baiser d’un homme, et je ne suis plus une honnête femme. Quelques secondes dans ma vie, quelques secondes qu’on ne peut supprimer, ont amené pour moi ce petit fait irréparable, si grave, si court, un crime, le plus honteux pour une femme… et je n’éprouve point de désespoir. Si on me l’eût dit hier, je ne l’aurais pas cru. Si on me l’eût affirmé, j’aurais aussitôt songé aux affreux remords dont je devrais être aujourd’hui déchirée. Et je n’en ai pas, presque pas. »

M. de Guilleroy sortit après dîner, comme il faisait presque tous les jours.

Alors elle prit sur ses genoux sa petite fille et pleura en l’embrassant ; elle pleura des larmes sincères, larmes de la conscience, non point larmes du cœur.

Mais elle ne dormit guère.

Dans les ténèbres de sa chambre, elle se tourmenta davantage des dangers que pouvait lui créer l’attitude du peintre ; et la peur lui vint de l’entrevue du lendemain et des choses qu’il lui faudrait dire, en le regardant en face.

Levée tôt, elle demeura sur sa chaise longue durant toute la matinée, s’efforçant de prévoir ce qu’elle avait à craindre, ce qu’elle aurait à répondre, d’être prête pour toutes les surprises.