Page:Maupassant - Fort comme la mort.djvu/91

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rosses attelées aux fiacres allaient toujours de leur allure accablée, de leur trot de moribonds.

La comtesse murmura :

— Oh ! le beau jour, qu’il fait bon vivre !

Le peintre, sous la grande lumière, les contemplait l’une auprès de l’autre, la mère et la fille. Certes, elles étaient différentes, mais si pareilles en même temps que celle-ci était bien la continuation de celle-là, faite du même sang, de la même chair, animée de la même vie. Leurs yeux surtout, ces yeux bleus éclaboussés de gouttelettes noires, d’un bleu si frais chez la fille, un peu décoloré chez la mère, fixaient si bien sur lui le même regard, quand il leur parlait, qu’il s’attendait à les entendre lui répondre les mêmes choses. Et il était un peu surpris de constater, en les faisant rire et bavarder, qu’il y avait devant lui deux femmes très distinctes, une qui avait vécu et une qui allait vivre. Non, il ne prévoyait pas ce que deviendrait cette enfant, quand sa jeune intelligence, influencée par des goûts et des instincts encore endormis, aurait poussé, se serait ouverte au milieu des événements du monde. C’était une jolie petite personne nouvelle, prête aux hasards et à l’amour, ignorée et ignorante, qui sortait du port comme un navire, tandis que sa mère y revenait, ayant traversé l’existence et aimé !

Il fut attendri à la pensée que c’était lui qu’elle