Page:Maupassant - L’Inutile Beauté, OC, Conard, 1908.djvu/118

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C’était une large yole un peu lourde, mais solide, spacieuse et confortable. Je ne vous ferai point le portrait de mes camarades. Il y en avait un petit, très malin, surnommé Petit Bleu ; un grand, à l’air sauvage, avec des yeux gris et des cheveux noirs, surnommé Tomahawk ; un autre, spirituel et paresseux, surnommé La Tôque, le seul qui ne touchât jamais une rame sous prétexte qu’il ferait chavirer le bateau ; un mince, élégant, très soigné, surnommé "N’a-qu’un-Oeil" en souvenir d’un roman alors récent de Cladel, et parce qu’il portait un monocle ; enfin moi qu’on avait baptisé Joseph Prunier. Nous vivions en parfaite intelligence avec le seul regret de n’avoir pas une barreuse. Une femme, c’est indispensable dans un canot. Indispensable parce que ça tient l’esprit et le cœur en éveil, parce que ça anime, ça amuse, ça distrait, ça pimente et ça fait décor avec une ombrelle rouge glissant sur les berges vertes. Mais il ne nous fallait pas une barreuse ordinaire, à nous cinq qui ne ressemblions guère à tout le monde. Il nous fallait quelque chose d’imprévu, de drôle, de prêt à tout, de presque introuvable, enfin. Nous en avions essayé beaucoup sans succès, des