Page:Maupassant - L’Inutile Beauté, OC, Conard, 1908.djvu/201

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Que dire de celle-là ? Elle était chez elle, et seule. Oui, elle était seule, car elle souriait comme on sourit quand on pense solitairement à quelque chose de triste et de doux, et non comme on sourit quand on est regardée. Elle était tellement seule, et chez elle, qu’elle faisait le vide en tout ce grand appartement, le vide absolu. Elle l’habitait, l’emplissait, l’animait seule ; il y pouvait entrer beaucoup de monde, et tout ce monde pouvait parier, rire, même chanter ; elle y serait toujours seule, avec un sourire solitaire, et, seule, elle le rendrait vivant, de son regard de portrait.

Il était unique aussi, ce regard. Il tombait sur moi tout droit, caressant et fixe, sans me voir. Tous les portraits savent qu’ils sont contemplés, et ils répondent avec les yeux, avec des yeux qui voient, qui pensent, qui nous suivent, sans nous quitter, depuis notre entrée jusqu’à notre sortie de l’appartement qu’ils habitent.

Celui-là ne me voyait pas, ne voyait rien, bien que son regard fût planté sur moi, tout droit. Je me rappelai le vers surprenant de Baudelaire :


Et tes yeux attirants comme ceux d’un portrait.


Ils m’attiraient, en effet, d’une façon irrésistible,