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Page:Maupassant - La Main gauche, OC, Conard, 1910.djvu/250

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LA MAIN GAUCHE.

Il sourit avant de répondre, puis, à mi-voix, avec un air de satisfaction :

— Mon Dieu, monsieur, on tue proprement et doucement, je n’ose pas dire agréablement, les gens qui désirent mourir.

Je ne me sentis pas très ému, car cela me parut en somme naturel et juste. J’étais surtout étonné qu’on eût pu, sur cette planète à idées basses, utilitaires, humanitaires, égoïstes et coercitives de toute liberté réelle, oser une pareille entreprise, digne d’une humanité émancipée.

Je repris :

— Comment en êtes-vous arrivé là ?

Il répondit :

— Monsieur, le chiffre des suicides s’est tellement accru pendant les cinq années qui ont suivi l’Exposition universelle de 1889 que des mesures sont devenues urgentes. On se tuait dans les rues, dans les fêtes, dans les restaurants, au théâtre, dans les wagons, dans les réceptions du président de la République, partout. C’était non seulement un vilain spectacle pour ceux qui aiment bien vivre comme moi, mais aussi un mauvais exemple pour les enfants. Alors il a fallu centraliser les suicides.