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LA MAISON TELLIER.

était devenu très gros, et la santé l’avait étouffé.

Madame, depuis son veuvage, était vainement désirée par tous les habitués de l’établissement ; mais on la disait absolument sage, et ses pensionnaires elles-mêmes n’étaient parvenues à rien découvrir.

Elle était grande, charnue, avenante. Son teint, pâli dans l’obscurité de ce logis toujours clos, luisait comme sous un vernis gras. Une mince garniture de cheveux follets, faux et frisés, entourait son front, et lui donnait un aspect juvénile qui jurait avec la maturité de ses formes. Invariablement gaie et la figure ouverte, elle plaisantait volontiers, avec une nuance de retenue que ses occupations nouvelles n’avaient pas encore pu lui faire perdre. Les gros mots la choquaient toujours un peu ; et quand un garçon mal élevé appelait de son nom propre l’établissement qu’elle dirigeait, elle se fâchait, révoltée. Enfin elle avait l’âme délicate, et bien que traitant ses femmes en amies, elle répétait volontiers qu’elles « n’étaient point du même panier ».

Parfois, durant la semaine, elle partait en voiture de louage avec une fraction de sa troupe ; et l’on allait folâtrer sur l’herbe au bord de la petite rivière qui coule dans les fonds de Valmont. C’étaient alors des parties