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LES CONSEILS D’UNE GRAND’MÈRE.

l’amour ; et je suis contente de mourir plutôt que de voir un monde sans galanteries et des femmes qui ne savent plus aimer.

Vous prenez tout au sérieux à présent ; la vengeance des drôlesses qui tuent leurs amants fait verser des larmes de pitié aux douze bourgeois réunis pour sonder les cœurs des criminels. Et voilà votre sagesse, votre raison ? Les femmes tirent sur les hommes et se plaignent qu’ils ne sont plus galants !

La jeune fille prit en ses mains tremblantes les mains ridées de la vieille :

— Tais-toi, grand’mère, je t’en supplie. Et à genoux, les larmes aux yeux, elle demandait au ciel une grande passion, une seule passion éternelle, selon le rêve nouveau des poètes romantiques, tandis que l’aïeule la baisant au front, toute pénétrée encore de cette charmante et saine raison dont les philosophes galants emplirent le dix-huitième siècle, murmura :

— Prends garde, pauvre mignonne, si tu crois à des folies pareilles, tu seras bien malheureuse.

Guy de Maupassant


Les Conseils d’une grand’mère ont paru dans le Gaulois du 13 septembre 1880