Page:Maupassant - La Vie errante.djvu/190

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Nous nous approchons encore de la mer, ou plutôt d’un vaste étang qui s’ouvre sur la mer. Avec ma lunette-jumelle, j’aperçois, dans l’eau, des flamants, et je quitte la voiture afin de ramper vers eux entre les broussailles et de les regarder de plus près.

J’avance. Je les vois mieux. Les uns nagent, d’autres sont debout sur leurs longues échasses. Ce sont des taches blanches et rouges qui flottent, ou bien des fleurs énormes poussées sur une menue tige de pourpre, des fleurs groupées par centaines, soit sur la berge, soit dans l’eau. On dirait des plates-bandes de lis carminés, d’où sortent, comme d’une corolle, des têtes d’oiseaux tachées de sang au bout d’un cou mince et recourbé.

J’approche encore, et soudain la bande la plus proche me voit ou me flaire, et fuit. Un seul s’enlève d’abord, puis tous partent. C’est vraiment l’envolée prodigieuse d’un jardin, dont toutes les corbeilles l’une après l’autre s’élancent au ciel ; et je suis longtemps, avec ma jumelle, les nuages roses et blancs qui s’en vont là-bas, vers la mer, en laissant traîner derrière eux toutes ces pattes sanglantes, fines comme des branches coupées.