Page:Maupassant - La Vie errante.djvu/47

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Depuis huit jours je rame. Le yacht demeure immobile au milieu de la rade minuscule et tranquille ; et moi je vais rôder dans mon canot, le long des côtes, dans les grottes où grogne la mer au fond de trous invisibles, et autour des îlots découpés et bizarres qu’elle mouille de baisers sans fin à chacun de ses soulèvements, et sur les écueils à fleur d’eau qui portent des crinières d’herbes marines. J’aime voir flotter sous moi, dans les ondulations de la vague insensible, ces longues plantes rouges ou vertes où se mêlent, où se cachent, où glissent les immenses familles à peine écloses des jeunes poissons. On dirait des semences d’aiguilles d’argent qui vivent et qui nagent.

Quand je relève les yeux sur les rochers du rivage, j’y aperçois des groupes de gamins nus, au corps bruni, étonnés de ce rôdeur. Ils sont innombrables aussi, comme une autre progéniture de la mer, comme une tribu de jeunes tritons nés d’hier qui s’ébattent et grimpent aux rives de granit pour boire un peu l’air de l’espace. On en trouve cachés dans toutes les crevasses, on en aperçoit debout sur les pointes, dessinant dans le ciel italien leurs formes jolies et frêles de statuettes de bronze. D’autres, assis, les jambes