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un soir

fait que nous n’avons plus de pensées que pour des actes d’adoration ? On devient véritablement un possédé que hante une femme, et rien n’existe plus pour nous à côté d’elle.

Nous fûmes bientôt fiancés. Je lui communiquai mes projets d’avenir qu’elle blâma. Elle ne me croyait ni poète, ni romancier, ni auteur dramatique, et pensait que le commerce, quand il prospère, peut donner le bonheur parfait.

Renonçant donc à composer des livres, je me résignai à en vendre, et j’achetai, à Marseille, la Librairie Universelle, dont le propriétaire était mort.

J’eus là trois bonnes années. Nous avions fait de notre magasin une sorte de salon littéraire où tous les lettrés de la ville venaient causer. On entrait chez nous comme on entre au cercle, et on échangeait des idées sur les livres, sur les poètes, sur la politique surtout. Ma femme, qui dirigeait la vente, jouissait d’une vraie notoriété dans la ville. Quant à moi, pendant qu’on bavardait au rez-de-chaussée, je travaillais dans mon cabinet du premier qui communiquait avec la librairie par un escalier tournant. J’entendais les