Page:Maupassant - Le Duel, paru dans Gil Blas, 8 décembre 1881.djvu/7

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Chez nous, il existe une sorte de courant d’esprit fou, querelleur, léger, tourbillonnant vide et sonore, qui circule de la Madeleine à la Bastille et qu’on pourrait appeler l’Esprit des boulevards. Il se répand de là par toute la France. Il est à la raison et au véritable esprit ce que le phylloxera est à la vigne.

Or, le boulevardier fait loi. Un bon mot lui tient lieu de logique, la raillerie chez lui remplace ordinairement la compréhension, selon l’expression de Balzac ; il adore le dieu chic, conserve religieusement les préjugés, blague invariablement ce qu’il ignore, et son ignorance n’a d’égale que l’assurance de ses jugements. Le boulevardier respecte le duel, déclare qu’il fait partie de l’héritage national, se pose en champion du point d’honneur. On ne saurait croire comme le point d’honneur est chatouilleux dans certain monde !

Dans ce « certain monde » on n’entend parler que d’assauts, de provocations, de témoins échangés, de rencontres passées ou prochaines. Je me demande quelquefois avec inquiétude combien de « cadavres » ces gens doivent avoir dans leur existence pour qu’on en déterre si fréquemment derrière eux. Car enfin on ne se bat pas pour rien. Si l’on se bat, c’est qu’on a été insulté, et quand on est insulté, c’est, la moitié du temps, parce qu’on l’a mérité. Un homme irréprochable ne va pas souvent sur le pré, comme on dit.

J’excepte, bien entendu, les hommes qui ont un tempérament batailleur. La nature les a faits ainsi. Nous ne pouvons rien contre elle.