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UN FOU ?

rait une bourse. Il lui vole sa pensée, c’est-à-dire son âme, l’âme, ce sanctuaire, ce secret du Moi, l’âme, ce fond de l’homme qu’on croyait impénétrable, l’âme, cet asile des inavouables idées, de tout ce qu’on cache, de tout ce qu’on aime, de tout ce qu’on veut cédera tous les humains, il l’ouvre, la viole, l’étalé, la jette au public ! N’est-ce pas atroce, criminel, infâme ?

Pourquoi, comment cela se fait-il ? Le sait-on ? Mais que sait-on ?

Tout est mystère. Nous ne communiquons avec les choses que par nos misérables sens, incomplets, infirmes, si faibles qu’ils ont à peine la puissance de constater ce qui nous entoure. Tout est mystère. Songe à la musique, cet art divin, cet art qui bouleverse l’âme, l’emporte, la grise, l’affole, qu’est-ce donc ? Rien.

Tu ne me comprends pas ? Écoute. Deux corps se heurtent. L’air vibre. Ces vibrations sont plus ou moins nombreuses, plus ou moins rapides, plus ou moins fortes, selon la nature du choc. Or nous avons dans l’oreille une petite peau qui reçoit ces vibrations de l’air et les transmet au cerveau sous forme de son. Imagine qu’un verre d’eau se change en vin dans ta bouche. Le tympan accomplit cette incroyable métamorphose, ce surpre-