Page:Maupassant - Le Horla, OC, Conard, 1909.djvu/46

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nutes, je rouvris les yeux sans faire un mouvement, réveillé par je ne sais quelle émotion confuse et bizarre. Je ne vis rien d’abord, puis, tout à coup, il me sembla qu’une page du livre resté ouvert sur ma table venait de tourner toute seule. Aucun souffle d’air n’était entré par ma fenêtre. Je fus surpris et j’attendis. Au bout de quatre minutes environ, je vis, je vis, oui, je vis de mes yeux une autre page se soulever et se rabattre sur la précédente, comme si un doigt l’eût feuilletée. Mon fauteuil était vide, semblait vide ; mais je compris qu’il était là, lui, assis à ma place, et qu’il lisait. D’un bond furieux, d’un bond de bête révoltée, qui va éventrer son dompteur, je traversai ma chambre pour le saisir, pour l’étreindre, pour le tuer !… Mais mon siège, avant que je l’eusse atteint, se renversa comme si on eût fui devant moi… ma table oscilla, ma lampe tomba et s’éteignit, et ma fenêtre se ferma comme si un malfaiteur surpris se fût élancé dans la nuit, en prenant à pleines mains les battants.

Donc, il s’était sauvé ; il avait eu peur, peur de moi, lui !

Alors,… alors… demain… ou après,… ou un jour quelconque,… je pourrai donc le tenir sous mes poings, et l’écraser contre le sol ! Est-ce que les chiens, quelquefois, ne