Page:Maupassant - Le Horla, Ollendorff, 1905.djvu/142

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
136
LE SIGNE

je ne l’avais point vue encore. Mais je m’aperçus tout de suite que c’était une vilaine fille. D’abord je fus très dégoûtée et très choquée qu’elle fût à la fenêtre comme moi ; et puis, peu à peu, ça m’amusa de l’examiner. Elle était accoudée, et elle guettait les hommes et les hommes aussi la regardaient, tous ou presque tous. On aurait dit qu’ils étaient prévenus par quelque chose en approchant de la maison, qu’ils la flairaient comme les chiens flairent le gibier, car ils levaient soudain la tête et échangeaient bien vite un regard avec elle, un regard de franc-maçon. Le sien disait « Voulez-vous ? »

« Le leur répondait : « Pas le temps », ou bien : « Une autre fois », ou bien : « Pas le sou », Ou bien « Veux-tu te cacher, misérable ! » C’étaient les yeux des pères de famille qui disaient cette dernière phrase.

« Tu ne te figures pas comme c’était drôle de la voir faire son manège ou plutôt son métier.

« Quelquefois elle fermait brusquement la fenêtre et je voyais un monsieur tourner sous la porte. Elle l’avait pris, celui-là, comme un pêcheur à la ligne prend un goujon. Alors je commençais à regarder ma montre. Ils restaient de douze à vingt minutes, jamais plus. Vraiment, elle me passionnait, à la fin, cette araignée. Et puis elle n’était pas laide, cette fille.

« Je me demandais : Comment fait-elle pour se