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LES ROIS

Je fis halte et j’ordonnai à Marchas, vous savez bien, Pierre de Marchas qui a épousé depuis la petite Martel-Auvelin, la fille du marquis de Martel-Auvelin, d’entrer tout seul dans le village et de m’apporter des nouvelles.

Je n’avais choisi que des volontaires, tous de bonne famille. Ça fait plaisir, dans le service, de ne pas tutoyer des mufles. Ce Marchas était dégourdi comme pas un, fin comme un renard et souple comme un serpent. Il savait éventer des Prussiens ainsi qu’un chien évente un lièvre, trouver des vivres là où nous serions morts de faim sans lui, et il obtenait des renseignements de tout le monde, des renseignements toujours sûrs, avec une adresse inimaginable.

Il revint au bout de dix minutes :

— Ça va bien, dit-il ; aucun Prussien n’a passé par ici depuis trois jours. Il est sinistre, ce village. J’ai causé avec une bonne sœur qui garde quatre ou cinq malades dans un couvent abandonné.

J’ordonnai d’aller de l’avant, et nous pénétrâmes dans la rue principale. On apercevait vaguement à droite, à gauche, des murs sans toit, à peine visibles dans la nuit profonde. De place en place, une lumière brillait derrière une vitre : une famille était restée pour garder sa demeure à peu près debout, une famille de braves ou de pauvres. La pluie commençait à tomber, une pluie menue, glacée, qui nous gelait avant de