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LES ROIS

― Nous sommes ici onze, monsieur l’abbé, cinq en grand’garde et six installés chez un habitant inconnu. Ces six-là se nomment Garens, ici présent, Pierre de Marchas, Ludovic de Ponderel, le baron d’Etreillis, Karl Massouligny, le fils du peintre, et Joseph Herbon, un jeune musicien. Je viens, en leur nom et au mien, vous prier de nous faire l’honneur de souper avec nous. C’est un souper des Rois, monsieur le curé, et nous voudrions le rendre un peu gai.

Le prêtre souriait. Il murmura :

— Il me semble que ce n’est guère l’occasion de s’amuser.

Je répondis :

— Nous nous battons tous les jours, Monsieur. Quatorze de nos camarades sont morts depuis un mois, et trois sont restés par terre, hier encore. C’est la guerre. Nous jouons notre vie à tout instant, n’avons-nous pas le droit de la jouer gaiement ? Nous sommes Français, nous aimons rire, nous savons rire partout. Nos pères riaient bien sur l’échafaud ! Ce soir, nous voudrions nous dégourdir un peu, en gens comme il faut, et non pas en soudards, vous me comprenez. Avons-nous tort ?

Il répondit vivement :

— Vous avez raison, mon ami, et j’accepte avec grand plaisir votre invitation.

Il cria :