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RÊVES

départs après les fêtes. Un des convives qui regardait depuis cinq minutes, sans parler, le boulevard houleux, étoile de becs de gaz et bruissant, dit tout à coup :

— Quand on ne fait rien du matin au soir, les jours sont longs.

— Et les nuits aussi, ajouta son voisin. Je ne dors guère, les plaisirs me fatiguent, les conversations ne varient pas ; jamais je ne rencontre une idée nouvelle, et j’éprouve, avant de causer avec n’importe qui, un désir furieux de ne rien dire et de ne rien entendre. Je ne sais que faire de mes soirées.

Et le troisième désœuvré proclama :

— Je paierais bien cher un moyen de passer, chaque jour, seulement deux heures agréables.

Alors l’écrivain, qui venait de jeter son pardessus sur son bras, s’approcha.

— L’homme, dit-il, qui découvrirait un vice nouveau, et l’offrirait à ses semblables, dût-il abréger de moitié leur vie, rendrait un plus grand service à l’humanité que celui qui trouverait le moyen d’assurer l’éternelle santé et l’éternelle jeunesse.