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LE PÈRE MILON

— Huit pour mon père, huit pour mon fieu, je sommes quittes. J’ai pas été vous chercher querelle, mé ! J’vous connais point ! J’sais pas seulement d’où qu’vous v’nez. Vous v’là chez mé, que vous y commandez comme si c’était chez vous. Je m’suis vengé su l’s autres. J’m’en r’pens point.

Et, redressant son torse ankylosé, le vieux croisa ses bras dans une pose d’humble héros.

Les Prussiens se parlèrent bas longtemps. Un capitaine, qui avait aussi perdu son fils, le mois dernier, défendait ce gueux magnanime.

Alors le colonel se leva et, s’approchant du père Milon, baissant la voix :

— Écoutez, le vieux, il y a peut-être un moyen de vous sauver la vie, c’est de…

Mais le bonhomme n’écoutait point, et, les yeux plantés droit sur l’officier vainqueur, tandis que le vent agitait les poils follets de son crâne, il fit une grimace affreuse qui crispa sa maigre face toute coupée par la balafre, et, gonflant sa poitrine, il cracha, de toute sa force, en pleine figure du Prussien.

Le colonel, affolé, leva la main, et l’homme