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VIEUX OBJETS

je suis, je m’en fais encore et chaque jour ; seulement elles ont changé d’objet, mes désirs n’étant plus les mêmes. Je te disais donc que je passe à rêver le plus clair de mon temps. Que ferais-je d’autre ? J’ai pour cela deux manières Je te les donne ; elles te serviront peut-être.

Oh ! la première est bien simple ; elle consiste à m’asseoir devant mon feu, dans un bas fauteuil doux à mes vieux os, et à m’en retourner vers les choses laissées en arrière.

Comme c’est court, une vie ! surtout celles qui se passent tout entières au même endroit :

Naître, vivre et mourir dans la même maison !

Les souvenirs sont massés, serrés ensemble ; et quand on est vieille, il semble parfois qu’il y a à peine dix jours qu’on était jeune. Oui, tout a glissé, comme s’il s’agissait d’une journée : le matin, le midi, le soir ; et la nuit vient, la nuit sans aurore !

En regardant le feu, pendant des heures et des heures, le passé renaît comme si c’était d’hier. On ne sait plus où l’on est ; le rêve vous emporte ; on retraverse son existence entière.