Page:Maupassant - Les Sœurs Rondoli.djvu/188

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Après quelques allées et venues de la rue Drouot au Vaudeville, comme nous nous disposions à nous séparer, car il paraissait déjà exténué d’avoir marché, je lui dis : « Tu n’as pas l’air bien portant. Es-tu malade ? » Il répondit : « Oui, un peu souffrant. »

Il avait l’apparence d’un homme qui va mourir ; et un flot d’affection me monta au cœur pour ce vieux et si cher ami, le seul que j’aie jamais eu. Je lui serrai les mains.

— Qu’est-ce que tu as donc ? Souffres-tu ?

— Non, un peu de fatigue. Ce n’est rien.

— Que dit ton médecin ?…

— Il parle d’anémie et m’ordonne du fer et de la viande rouge.

Un soupçon me traversa l’esprit. Je demandai :

— Es-tu heureux ?

— Oui, très heureux.

— Tout à fait heureux ?

— Tout à fait.

— Ta femme ?…

— Charmante. Je l’aime plus que jamais.

Mais je m’aperçus qu’il avait rougi. Il paraissait embarrassé comme s’il eût craint de nouvelles questions. Je lui saisis le bras, je le poussai dans un café vide à cette