Page:Maupassant - Les Sœurs Rondoli.djvu/57

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Connaissez-vous cette obsession d’une femme, longtemps après, quand on retourne aux lieux où on l’a aimée et possédée ?

C’est là une des sensations les plus violentes et les plus pénibles que je connaisse. Il semble qu’on va la voir entrer, sourire, ouvrir les bras. Son image, fuyante et précise, est devant vous, passe, revient et disparaît. Elle vous torture comme un cauchemar, vous tient, vous emplit le cœur, vous émeut les sens par sa présence irréelle. L’œil l’aperçoit ; l’odeur de son parfum vous poursuit ; on a sur les lèvres le goût de ses baisers, et la caresse de sa chair sur la peau. On est seul cependant, on le sait, on souffre du trouble singulier de ce fantôme évoqué. Et une tristesse lourde, navrante vous enveloppe. Il semble qu’on vient d’être abandonné pour toujours. Tous les objets prennent une signification désolante, jettent à l’âme, au cœur, une impression horrible d’isolement, de délaissement. Oh ! ne revoyez jamais la ville, la maison, la chambre, le bois, le jardin, le banc où vous avez tenu dans vos bras une femme aimée !

Enfin, pendant toute la nuit, je fus poursuivi par le souvenir de Francesca ; et, peu à peu, le désir de la revoir entrait en moi, un désir confus d’abord, puis