Page:Maupassant - Les Sœurs Rondoli.djvu/93

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Alors, pour le convaincre, elle se mit à raisonner sur la durée probable de sa vie.

— Je n’en ai pas pour pu de cinq à six ans pour sûr. Me v’là sur mes soixante-treize, et pas vaillante avec ça. L’aut’e soir, je crûmes que j’allais passer. Il me semblait qu’on me vidait l’corps, qu’il a fallu me porter à mon lit.

Mais Chicot ne se laissait pas prendre.

— Allons, allons, vieille pratique, vous êtes solide comme l’clocher d’l’église. Vous vivrez pour le moins cent dix ans. C’est vous qui m’enterrerez, pour sûr.

Tout le jour fut encore perdu en discussions. Mais, comme la vieille ne céda pas, l’aubergiste, à la fin, consentit à donner les cinquante écus.

Ils signèrent l’acte le lendemain. Et la mère Magloire exigea dix écus de pots de vin.


Trois ans s’écoulèrent. La bonne femme se portait comme un charme. Elle paraissait n’avoir pas vieilli d’un jour, et Chicot se désespérait. Il lui semblait, à lui, qu’il payait cette rente depuis un demi-siècle, qu’il était trompé, floué, ruiné. Il allait de temps en temps rendre visite à la fermière, comme on va voir,