Page:Maupassant - Les vieilles, paru dans Le Gaulois, 25 juin 1882.djvu/4

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qu’elles soient.

Dans la rue, dans un escalier, dans un salon, dans les champs, dans un omnibus, n’importe où, quand se croisent deux regards de jeunes gens, une subite éclosion de galanterie, un obscur désir emplit les yeux, et il semble qu’un invisible fil se trouve jeté de l’un à l’autre en qui circule un courant d’amour.

Mais c’est la chose dont on ne parle pas, ou du moins dont on ne parle guère. La vieille ose parler de tout. Elle peut le faire sans être immodeste, impudique, comme seraient les jeunes, et c’est un charme singulier de causer longtemps, tout bas, à mots un peu voilés, mais librement, avec une femme vénérable, de toutes les ivresses des cœurs et des sens.

Et elles font cela, les vieilles, avec un petit air content, désintéressé ; mais encore friand, comme si elles flairaient en passant l’odeur d’un plat qu’elles adorent, mais dont elles ne peuvent plus manger. Elles parlent d’amour d’un ton maternel et bienveillant ; parfois, elles jettent un mot cru, une image vive, une réflexion hardie, une plaisanterie un peu pimentée : et cela prend en leur bouche une grâce poudrée de l’autre siècle ; on dirait une pirouette osée ou se voit un peu de jambe.