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MADEMOISELLE FIFI

mépris des êtres et des choses, d’employer à tout moment la locution française — fi, fi donc, qu’il prononçait avec un léger sifflement.

La salle à manger du château d’Uville était une longue et royale pièce dont les glaces de cristal ancien, étoilées de balles, et les hautes tapisseries des Flandres, tailladées à coups de sabre et pendantes par endroits, disaient les occupations de Mlle Fifi, en ses heures de désœuvrement.

Sur les murs, trois portraits de famille, un guerrier vêtu de fer, un cardinal et un président, fumaient de longues pipes de porcelaine, tandis qu’en son cadre dédoré par les ans, une noble dame à poitrine serrée montrait d’un air arrogant une énorme paire de moustaches faite au charbon.

Et le déjeuner des officiers s’écoula presque en silence dans cette pièce mutilée, assombrie par l’averse, attristante par son aspect vaincu, et dont le vieux parquet de chêne était devenu solide comme un sol de cabaret.

À l’heure du tabac, quand ils commencèrent à boire, ayant fini de manger, ils se mirent, de même que chaque jour, à parler de leur ennui. Les bouteilles de cognac et de liqueurs passaient de main en main ; et