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MARROCA

sur mon tapis, et approchant de ma bouche ses grandes lèvres retournées :

« Il faut, dit-elle, que tu viennes dormir chez moi. »

Je ne comprenais pas. « Comment, chez toi ?

— Oui, quand mon mari sera parti, tu viendras dormir à sa place. »

— Je ne pus m’empêcher de rire.

Pourquoi ça, puisque tu viens ici ? »

Elle reprit, en me parlant dans la bouche, me jetant son haleine chaude au fond de la gorge, mouillant ma moustache de son souffle : — « C’est pour me faire un souvenir ». — Et l’r de souvenir traîna longtemps avec un fracas de torrent sur des roches.

Je ne saisissais point son idée. Elle passa ses mains à mon cou. — « Quand tu ne seras plus là, j’y penserai. Et quand j’embrasserai mon mari, il me semblera que ce sera toi ».

Et les rrrai et les rrra prenaient en sa voix des grondements de tonnerres familiers.

Je murmurai, attendri et très égayé :

« Mais tu es folle. J’aime mieux rester chez moi. »

Je n’ai, en effet, aucun goût pour les rendez-vous sous un toit conjugal ; ce sont là des souricières où